- ARCHÉOLOGIE - La prospection
- ARCHÉOLOGIE - La prospectionL’intérêt suscité par les témoins du passé qu’étudie l’archéologie a beaucoup évolué depuis les années cinquante. La fouille, à laquelle s’identifiait la discipline, n’est plus une quête de monuments ou d’objets arrachés d’un contexte réputé stérile, et la terre même des sites est apparue riche d’informations: une recherche plus fine et plus coûteuse s’impose désormais. Mais, parallèlement, les travaux d’aménagement ou de développement qui agressent ce patrimoine accroissent sans cesse la masse des sites à sauver. On sait enfin que la fouille elle-même détruit irrémédiablement le document étudié: il convenait donc de mieux définir sa place dans un jeu renouvelé de techniques rapides, moins onéreuses et non destructrices, qui permettraient de connaître autrement le document archéologique: de nouveaux besoins donnent ainsi à la prospection une place originale, une place sans cesse plus vaste.Sa conception même a changé. Elle fut d’abord un moyen commode de situer ou de préparer la fouille: une étude menée en surface permettait de rassembler rapidement et de confronter assez de données de nature diverse pour éclairer la conduite des dégagements. On découvrit de plus qu’elle seule rendait possible à une échelle beaucoup plus vaste l’exploitation d’indications considérées jusque-là comme trop ténues pour être utiles, mais susceptibles en fait de répondre aux nouveaux problèmes qu’aborde l’archéologie: il ne s’agit plus seulement en un point subjectivement privilégié de dégager une succession de strates significatives de quelques moments de sa chronologie, mais de retrouver toute l’histoire du site, en restituant aussi bien l’organisation sociale et économique que la vie des techniques, aussi bien l’occupation du sol que la vie des paysages.La prospection est ainsi un nouveau mode objectif de décryptage du sol considéré comme un élément du patrimoine culturel. À ses procédés traditionnels s’ajoutent des techniques nouvelles telles que celles qu’offrent les prospections aérienne, électrique et magnétique. Nous tenterons simplement, en les présentant, de montrer comment elles entendent fonder sur une part accrue des études quantitatives une nouvelle archéologie plus soucieuse de la vie même de l’homme que de ses réalisations exceptionnelles.Prospection aérienneDes nouvelles méthodes, c’est sans doute la plus connue et la plus spectaculaire. Sans doute suffit-il de redire son existence et de renvoyer à deux articles ARCHÉOLOGIE AÉRIENNE, infra et in Universalia 1978 , qui en ont déjà traité. On distinguera d’abord les couvertures photographiques verticales d’échelle adaptée au traitement choisi, qui permettent des études stéréoscopiques, l’établissement de documents cartographiques et, par là, la réalisation de reconnaissances d’envergure régionale. On rappellera aussi le recours à des photographies obliques prises à faible altitude. Les techniques mettent en évidence, parfois très clairement, les vestiges archéologiques, soit par leur affleurement, soit par l’image d’une modification du paysage qu’entraîne leur influence sur le relief, sur la croissance de la végétation et sur les échanges thermiques et hydriques entre le sol et l’atmosphère. On voit bien ici comment l’adaptation d’une même technique permet de recueillir et d’utiliser conjointement des informations très diverses.Prospections de type traditionnelNous les appelons ainsi car elles ont été pratiquées assez tôt, souvent de façon empirique et avec des buts restreints. Il s’agissait, pour l’étude régionale, de conduire un inventaire limité à tel ou tel aspect retenu par le chercheur. Pour les études de site, c’était une étape préliminaire à la fouille. La démarche actuelle tend à standardiser les modes de collecte et de relevé des informations pour rendre leur exploitation sensiblement plus productive.La prospection régionale, ou survey , apparaît par ce seul nom liée à l’activité des chercheurs de l’Empire britannique. Elle fut le plus souvent un inventaire monumental mené à l’échelle d’une région ou d’un pays, délaissant certains indices tenus maintenant pour essentiels et limitée à des monuments majeurs ou conservés en élévation. Sa richesse était atténuée par la myopie d’une méthode trop sélective. Mais il s’agissait, dans bien des cas, d’un premier contact avec un pays inconnu, et on ne saurait ignorer ce que les collections de monographies issues de ces travaux ont apporté à la recherche. Bien des monuments d’Inde ou d’Iran ont ainsi été découverts. On pense par exemple au Survey of Persian Art de Pope ou même, pour l’art islamique, aux travaux de Creswell. Ailleurs, les Sanctuaires et forteresses almohades de Basset et Terrasse ont révélé aussi bien des techniques monumentales que les goûts et la politique du califat islamique d’Occident dans la seconde moitié du XIIe siècle. Des exigences plus vastes encore marquent les surveys : les travaux de B. Groslier sur des sites khmers du Siam, ceux de K. Fischer aux confins irano-afghans ou le programme que réalise J. Tixier au Qatar. Aux techniques archéologiques s’associent celles de l’ethnologie, de la géographie ou encore l’étude des sources écrites et des traditions orales. Deux techniques «traditionnelles» continuent, dans ce contexte, d’être assez largement utilisées: l’inventaire monumental et le ramassage de surface.L’inventaire monumental peut s’établir à l’échelle d’un site, où chaque indice, affleurement, vestige est pris en compte dans le cadre d’une analyse systématique: un certain nombre de paramètres, tenus pour significatifs, ont été définis, mais il n’intervient plus de valorisation subjective de certains vestiges. La masse importante des données qu’il est ainsi possible d’accumuler et la facilité du traitement automatique montrent à eux seuls l’intérêt de cette démarche. Elle aboutit à la définition de structures ou de zones types et ainsi à l’interprétation globale, dans l’espace et parfois dans le temps, du terrain traité. La fouille peut alors intervenir pour mieux déterminer des structures types ou pour tenter une étude exhaustive des éléments reconnus comme les plus importants.Le ramassage de surface, cependant, mené très empiriquement, avait – et conserve, hélas – pour but une approche qualitative des éléments d’un site, ou, plus simplement encore, la collecte d’objets recherchés parfois pour leur intérêt propre, et le plus souvent comme souvenirs ou même comme objets de commerce. C’est par lui que maintes fois a débuté la destruction d’un site; il peut pourtant livrer quantité d’informations autrement inaccessibles: un travail systématique en est la clé. Les procédés retenus, très variés, s’adaptent aux questions que pose le site, mais on tiendra compte de la notion de quantité alors même qu’on tente de définir les éléments significatifs. Un simple décompte de ceux-ci par unité de surface conduira à une cartographie exploitable. Limites d’un site, localisation des diverses fonctions au sein de celui-ci ou même chronologie horizontale peuvent ainsi être précisées.Prospection géophysiqueDestinée initialement à des applications bien différentes de l’archéologie, la prospection géophysique disposait déjà, lorsque son utilité fut reconnue dans cette discipline, d’un acquis théorique et méthodologique important; il explique qu’elle parut rapidement efficace et, à juste titre, crédible. En effet, les principes sont les mêmes que pour ses autres domaines d’application et se fondent tous sur la mise en évidence d’une variation d’un des paramètres physiques du milieu englobant: celui-ci, de disposition tenue a priori pour régulière, apparaît perturbé par les structures qu’il recèle. L’appareillage disponible, enfin, de plus en plus perfectionné, se prête à ce travail sans qu’un aménagement notable soit nécessaire: la prospection géophysique répond ainsi à bon nombre des problèmes qui préoccupent l’archéologue.Son importance s’explique en effet par ce qu’elle apporte au regard d’autres méthodes. Seule capable de procéder à une investigation interne du site, elle peut être fructueuse même lorsque aucun indice au sol n’a été observé. En outre, la relative variété de ses possibilités permet de l’adapter à chaque cas: selon le type des vestiges, leur nature et celle du terrain, on choisira ainsi une prospection électrique ou magnétique ou encore l’un des autres modes de prospection géophysique. Dans tous les cas, le travail aboutit à un document cartographique, dont l’interprétation s’appuie sur la reconnaissance des formes des anomalies d’origine historique; celle-ci, jusqu’ici avant tout qualitative, tente d’introduire, dans sa lecture, des critères quantitatifs. Un classement de ces anomalies en fonction de leur signification archéologique – aidé si besoin est par quelques sondages de contrôle – peut ainsi livrer un véritable décryptage de la zone retenue.Prospection électriqueAtckinson l’appliqua dès 1946 à l’archéologie, mais on lui préféra un moment, pour sa lenteur, d’autres techniques, aérienne ou magnétique. Sa sûreté et son aptitude à déceler certains types de vestiges lui assurent aujourd’hui une importance nouvelle. Son principe est de mettre en évidence la variation de résistivité du sol ou, en d’autres termes, de son aptitude à se laisser traverser par un courant électrique. C’est l’eau interstitielle qui par sa salinité assure le passage de celui-ci: ainsi les structures archéologiques se marquent-elles en fonction de la porosité de leurs constituants; mais les variations climatiques peuvent, elles aussi, influencer les résultats. Cette prospection est particulièrement apte à déceler des murs ou des bâtisses de pierre, mais aussi des structures qui sont peu repérables autrement.Pour mesurer la résistivité du sol, on emploie le plus souvent un dispositif quadripolaire: deux des quatre électrodes émettent un courant électrique et la tension entre les deux autres est enregistrée. En prospection archéologique, on use plus volontiers de la disposition – dite Wenner – qui présente les électrodes en ligne et également espacées, mais d’autres dispositions sont utilisées. La prospection peut être réalisée de différentes manières selon la nature des vestiges supposés: cherche-t-on à mettre en évidence des restes d’habitat ou toute autre structure localisée, plus ou moins bien circonscrite, on établira un carroyage et une mesure sera effectuée à chaque sommet des mailles ainsi définies (fig. 2). La précision du résultat dépendra bien sûr de l’espacement des mesures. Recherche-t-on au contraire des structures longues, telles que fossés ou enceintes, ou des limites entre zones stériles et potentiellement plus riches de vestiges, on implantera des profils plus ou moins espacés le long desquels les mesures seront faites: c’est ce que montre la figure 3 où une voie fut ainsi retrouvée.Prospection magnétiqueL’apparition des magnétomètres à protons permit à Aitken de tenter dès 1958 les premières prospections magnétiques à finalité archéologique; aujourd’hui, la méthode est devenue d’autant plus employée que son usage et le recours aux techniques informatiques ont suscité de grands progrès dans l’interprétation des cartes obtenues. Par elles, la prospection rend compte d’anomalies locales du champ magnétique terrestre parfois liées à la présence de structures archéologiques.Ces variations découlent de deux phénomènes physiques distincts. D’une part, de l’acquisition par les matériaux – et enparticulier par les argiles – d’une aimantation thermorémanente lors de leur cuisson, dépendante du champ existant à ce moment; on aura alors des anomalies fortes, dues en particulier à la présence de foyers, de fours ou de sols brûlés. D’autre part, l’acquisition d’une aimantation induite dans le champ terrestre actuel, liée à la susceptibilité magnétique des matériaux en présence (certains oxydes de fer et surtout maghémite ou hématite). On sait par ailleurs combien les structures archéologiques et les sols sont riches de ces éléments, et on attribue cette particularité à l’aération des sols, à la présence de matériaux organiques ou encore à la fréquence des feux. On comprend ainsi comment des témoins d’histoire peuvent être décelés par des mesures du champ magnétique terrestre.La mise en œuvre de cette prospection est plus rapide que celle de la méthode électrique: une simple sonde se pose au point de la mesure. Cependant, le champ magnétique terrestre varie dans le temps tandis qu’on recherche ses variations dans l’espace: il convient donc d’enregistrer ce phénomène par des mesures régulièrement répétées en une station de référence ou d’user d’un magnétomètre différentiel. Pour le reste, on procédera, comme en prospection électrique, par implantation de carroyages ou de profils. Mais les propriétés relatives du champ magnétique terrestre et des sources d’anomalies font que celles-ci se présentent toujours comme l’association d’un maximum et d’un minimum; d’où une interprétation des cartes obtenues beaucoup plus difficile qu’en prospection électrique. Pourtant, certains procédés de traitement des cartes – prolongement du champ ou gradient, par exemple – pourront apporter les éclaircissements nécessaires au repérage des indications archéologiques fournies par ces mesures.Autres méthodesD’autres méthodes existent cependant, dont certaines, très employées dans les autres domaines de la géophysique, sont peu ou mal adaptées aux besoins de l’archéologie: ce sont en particulier les prospections gravimétriques, ou sismiques. Quelques techniques paraissent plus prometteuses: ainsi la prospection électromagnétique et, dans une moindre mesure, la prospection par thermographie ont-elles déjà apporté quelques fruits. Elles doivent maintenant être mieux adaptées et développées.Un exemple d’étude de siteOn ne saurait trop se garder de considérer la prospection comme une collection de recettes interchangeables susceptibles d’apporter des solutions miracles à l’archéologue d’aujourd’hui. Un programme franco-marocain de recherche illustre bien le recours à ces diverses techniques choisies, chaque fois, en fonction de problèmes précis: celui de Belyounech (fig. 1), sur la côte du détroit de Gibraltar. La position et l’histoire de ces campagnes voisines de la ville de Ceuta en faisaient un document potentiel pour l’étude de la vie des côtes, celle du monde rural comme celle des rapports ville-campagne dans un pays islamique médiéval. On pouvait espérer en outre y retrouver les vestiges de la muniya – la «villa» islamique – aussi chantée par les poètes qu’inconnue des archéologues. Toutefois le site mesurait plus de cent cinquante hectares.Dépouillement des sources écrites, traditions orales et examen sommaire recommandaient son étude. Une première phase s’appuya sur une couverture aérienne à basse altitude: photo-interprétation au stéréoscope puis restitution photogrammétrique au millième permirent, avec une première reconnaissance du site, de disposer d’un excellent document cartographique, d’autant plus indispensable que la topographie, très mouvementée associe talwegs profonds et terrasses successives descendant vers la mer. Trois autres modes d’études purent ainsi être programmés.Un inventaire monumental mené hectare par hectare compléta et corrigea l’image globale née de la photo-interprétation, déterminant au mieux la localisation, l’étendue et la fonction des vestiges. On aboutit ainsi à la définition de types variés: ensembles résidentiels, structures fonctionnelles (aqueducs, moulins, enclos, bassins d’irrigation ou d’agrément, murs de soutènement, etc.), édifices religieux ou funéraires, bains et autres travaux d’intérêt public. Des zones étaient définies: liées à une seule fonction ou de caractère mixte, elles apparurent intimement dépendantes des projets de l’homme, mais aussi des contraintes naturelles; circulation de l’eau, des personnes, désir de conserver libres de constructions les parties cultivables furent très vite mis en évidence. Ainsi put-on ébaucher à grands traits la mise en valeur et la vie du site médiéval.Mais l’inventaire monumental révélait également des zones vides de vestiges: il fallait, pour déterminer leur fonction, savoir d’abord si elles l’étaient réellement. Une série de prospections géophysiques, associées à un nombre très limité de sondages de vérification, permirent de s’en assurer. La fouille fut donc réservée aux seuls secteurs où elle se justifiait pleinement.On voit bien ici comment les dégagements, loin d’être l’unique recours de l’archéologue, s’insèrent désormais dans un ensemble de techniques de reconnaissance et d’étude du site. Dépouillement d’archives, enquêtes, prospections et fouilles viennent s’éclairer mutuellement pour donner – et, de surcroît, plus rapidement – des réponses plus sûres à des problèmes toujours plus variés. Le développement des techniques de prospection permet de nouveaux programmes; révélateurs d’aspects jusqu’ici inaccessibles du document archéologique, elles permettent, seules, d’en réaliser conjointement l’exploitation et la sauvegarde.
Encyclopédie Universelle. 2012.